La perception : préjugés et perception, l’œil n’est jamais innocent
Textes associés : texte 1. " C’est toujours vieilli que l’œil aborde son activité, obsédé par son propre passé et par les insinuations anciennes et récentes de l’oreille, de la langue, des doigts, du cœur et du cerveau. Il ne fonctionne pas comme un instrument solitaire et doté de sa propre énergie, mais comme un membre soumis d’un organisme complexe et capricieux. Besoins et préjugés ne gouvernent pas seulement sa manière de voir mais aussi le contenu de ce qu’il voit. Il choisit, rejette, organise, distingue, associe, classe, analyse, construit. Il saisit et fabrique plutôt qu’il ne reflète ; et les choses qu’il saisit et fabrique, il ne les voit pas nues comme autant d’éléments privés d’attribut, mais comme des objets, comme de la nourriture, comme des gens, comme des ennemis, comme des étoiles, comme des armes. Rien n’est vu tout simplement, à nu.
Les mythes de l’œil innocent et du donné absolu sont de fieffés complices. Tous deux renforcent l’idée, d’où ils dérivent, que savoir consiste à élaborer un matériau brut reçu par les sens, et qu’il est possible de découvrir ce matériau brut. Mais recevoir et interpréter ne sont pas des opérations séparables ; elles sont entièrement solidaires." Nelson Goodman, Langages de l’Art (1968).
Texte 2 : "Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce qu’on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. Accéder à la science, c’est, spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé. La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit." Bachelard, La formation de l’esprit scientifique
« je vois ce que je crois » est une expérience de psychologie sociale qui peut être utilisée
soit, comme ici, pour montrer les défauts de la perception (et pour illustrer la thèse de N. Goodman "il n’y a pas d’œil innocent" ou de Bachelard "l’opinion est le premier obstacle à surmonter")
soit pour montrer les dangers d’une interprétation qui se baserait sur des gestes, des regards (sur ce qu’on appellerait "le langage du corps")
cette seconde utilisation de l’expérience fait l’objet d’une autre capsule sous le titre " l’interprétation : une expérience de psychologie sociale pour montrer les dangers d’une interprétation"
cette vidéo fait partie d’un ensemble plus large d’expérience de psychologie sociale accessible sur le site de Philippe Thominé (le réalisateur)
http://www.philippethomine.net/
et sur Canal U
https://www.canal-u.tv/video/les_amphis_de_france_5/les_effets_de_la_categorisation.3078
"Résumé : Les sujets voient un film de cinq minutes dans lequel deux femmes discutent. Ils n’entendent pas ce qu’elles disent.
À certains sujets (groupe contrôle), on dit que ce sont deux amies qui discutent.
À d’autres (première condition expérimentale), on indique que la femme de gauche est assistante sociale et que celle de droite est un cas social qui vient demander de l’aide.
À d’autres enfin (deuxième condition expérimentale), on dit l’inverse : la femme de gauche est un cas social qui vient demander de l’aide et celle de droite est assistante sociale.
Après le film, tous les sujets remplissent une grille d’évaluation constituée de 40 traits de personnalité positifs et négatifs. Les sujets ont pour tâche de cocher les traits qui leur semblent le mieux correspondre à la personnalité de chacune des deux femmes.
On constate que les sujets perçoivent les deux femmes en fonction de l’étiquette que l’on a "collée" sur chacune d’entre elles."
Voir en ligne : les effets de la catégorisation