SUR LES PAS
DES COMBATTANTS
DE VERDUN

Parcours pédagogiques
1916-2016

Historique de la relation franco-allemande à Verdun 



    1. Discours de Danton à l’Assemblée nationale à l’issue
      de la chute de Verdun en 1792

      26 février 1792 Télécharger le document-PDF
    2. Traité de Francfort

      10 mai 1871

      L’intégralité du traité de Francfort est consultable sur le site http://mjp.univ-perp.fr/,
      rubriques Traités ; Traité de Francfort -10 mai 1871 (guerre entre la France et l’Allemagne).



    VERDUN DANS LES RELATIONS FRANCO-ALLEMANDES

    Par sa situation géographique et par la mouvance des frontières, la cité de Verdun fut le témoin privilégié des rencontres et des conflits successifs entre la France et l’Allemagne.

    « Verdun, vieille ville épiscopale et militaire, s’élève en un cirque de coteaux, de vallons et de bois qui, dans tous les temps, a fait de ce coin des Marches de l’Est un obstacle aux invasions, un « camp » naturel que, fatalement, le génie des hommes devait perfectionner et fortifier » écrivait Louis Madelin en introduction de Verdun, publié en 1920.

    QUELQUES DATES CLÉS DE L’HISTOIRE DE VERDUN

    Verdun est depuis toujours une cité militaire, une place forte et une ville frontière. Site défensif occupé dès l’époque paléolithique, l’oppidum verdunois fortifié par les Médiomatriques fit place, durant l’époque romaine, à un castrum destiné à défendre l’Empire contre la menace germanique et baptisé Verodunum. La cité était alors située au carrefour de la Meuse et d’une voie romaine qui reliait Reims à l’Alsace, en passant par Metz. Avant le premier siège conduit par Clovis vers 496, Verdun fut ravagée par Attila, qui laissa la cité « dans l’état d’un champ labouré par les sangliers ». Dix autres sièges de la place forte devaient se succéder au fil des siècles.

    C’est en 843 qu’y fut partagé l’empire de Louis le Pieux, fils de Charlemagne. Le célèbre traité de Verdun, dont aucune trace écrite ne subsiste et dont le lieu même de la signature demeure incertain, divise l’empire carolingien et accorde la Francie occidentale à Charles le Chauve, la Lotharingie et le titre d’empereur à Lothaire 1er, et la Francie orientale à Louis le Germanique (cette dernière donnera naissance à la Germanie puis au Saint-Empire romain germanique). Ce traité marque un tournant l’histoire de l’Europe, en instaurant la Meuse et Verdun comme frontières entre ce qui deviendra la France et l’Allemagne. Il est à noter que Verdun figurait dans tous les manuels scolaires allemands comme le lieu symbolique de la naissance de l’Empire.

    Jusqu’alors intégrée à l’Empire germanique, Verdun passe ensuite sous la souveraineté de la France ainsi que Toul et Metz, Henri II prenant possession de la ville le 15 juin 1552. En août 1792, 60 000 prussiens armés de 40 canons assiègent Verdun. La forteresse, dont les fortifications sont laissées à l’abandon depuis Louis XV, s’organise sous les ordres du colonel Nicolas Joseph Beaurepaire. Celui-ci ne dispose que d’environ 3 000 hommes. Après deux jours de bombardements, le Conseil de la ville vote la reddition. Le 2 septembre, Frédéric Guillaume II de Prusse entre dans Verdun à la tête de ses troupes, sous les acclamations des royalistes. La route de Paris à travers la Champagne est ouverte. L’armée prussienne, forte de 80 000 hommes, est défaite à Valmy le 20 septembre. Les troupes d’occupation évacuent Verdun le 14 octobre 1792. Suite à l’accueil trop chaleureux des Prussiens par une partie de la population verdunoise (un bal aurait été organisé, bal auquel le roi de Prusse aurait participé en personne), le tribunal révolutionnaire condamna à mort 35 habitants pour « avoir conspiré contre le peuple français, en entretenant des intelligences et correspondances avec les ennemis de la France, tendant à favoriser leur entrée dans la forteresse de Verdun aux troupes prussiennes. »1



    Monument de la défense de Verdun lors du siège de 1870
    Le monument fut détruit par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale,
    le bronze fondu et les pierres de l’édifice laissées à l’abandon
    .
    Agence Rol, 1919, Bibliothèque nationale de France



    Pendant la guerre franco-prussienne de 1870, les troupes de Verdun (1 500 soldats de garnison, 2 000 gardes mobiles et 1 400 hommes de la garde nationale sédentaire), renforcées par 2 600 survivants de Sedan et commandées par le général Guérin de Waldersbach et le général Marmier, tiennent le terrain face aux 10 000 recrues du prince de Saxe.

    Contrairement à ce qui se passa en 1792, la volonté farouche de résister animait tous les Verdunois. L’armée allemande encercla totalement la ville le 23 septembre et réquisitionna les habitants des villages alentours pour réaliser les ouvrages d'investissement. La ville, assiégée et sous le coup de 140 grosses pièces d'artillerie, se rend le 8 novembre après plusieurs tentatives de sorties et de contre-attaques meurtrières. Les conditions de reddition proposées par les Allemands furent plutôt favorables ; ainsi, Verdun sera dispensée de contribution et les biens et personnes respectés. La ville sera alors administrée par le préfet Bethmann-Hollweg jusqu'au 13 septembre 1873.

    La guerre avait pris fin à Sedan avec la reddition de Napoléon III le 2 septembre, la Troisième République fut proclamée le 4 septembre. C’est à Versailles, dans la Galerie des Glaces, que Guillaume Ier devint empereur allemand, une revanche et une étape primordiale dans les rapports entre les deux nations mais également une victoire de Bismarck sur les idéaux français issus de la Révolution.

    Le traité de Francfort est signé le 10 mai 1871, par lequel l’Alsace et une partie de la Lorraine sont annexées par le Reich. Bismarck avait toujours pensé qu’une guerre contre la France était nécessaire à l’achèvement de l’unité allemande. La notion « d’inimitié héréditaire » revint alors d’actualité. Jusqu’à l’aube du nouveau conflit, les relations franco-allemandes sont marquées par des crises et des tensions extrêmes avec notamment en 1875 la réorganisation de l’armée française, en 1887 l’affaire Schnaebelé, en 1905 la crise de Tanger, en 1911 la seconde crise au Maroc et l’affaire d’Agadir ou encore entre 1912 et 1913 les crises balkaniques.

    En 1914, l’Europe est divisée en deux blocs : la Triple Alliance, entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie, et la Triple Entente, entre la France, la Russie et l’Angleterre. Pour Verdun, c’est le même constat que pour les autres villes du nord-est de la France : les places fortes dépourvues de défense avancée sont incapables de résister à la puissance de feu de l’artillerie moderne. Suite au conflit franco-prussien, les Allemands achèvent la construction des forts extérieurs de Metz et les Français construisent le système défensif dit de « Séré de Rivières » avec les groupes fortifiés de Verdun, Toul, Épinal et Belfort.

    Les chantiers de construction de nouveaux ouvrages fortifiés se multiplient autour de Verdun de 1874 à 1914. Tavannes, Belleville et Belrupt sont les premiers à être érigés, puis les travaux commencent en 1881 à Vaux et en 1885 au fort de Douaumont. En 1914, Verdun est une forteresse redoutable : 19 forts dont 14 modernisés, 34 abris de combats, 4 abris-cavernes. Plus de 650 canons de siège et 70 000 hommes sont prêts à défendre la plus importante place forte de Lorraine.

    1. Considérations et préjugés sur les Allemands

      1915 Télécharger le document-PDF
    2. Discours de Raymond Poincaré à la citadelle de Verdun

      13 septembre 1916 Télécharger le document-PDF
    3. Traité de Versailles

      28 juin 1919

      L’intégralité du traité de Francfort est consultable sur le site http://mjp.univ-perp.fr/,
      rubriques Traités ; Documents relatifs à la Grande Guerre ; Traité de Versailles.



      Article du commandant de civrieux à propos de la signature
      du traité de versailles

      5 juillet 1919 Télécharger le document-PDF

    VERDUN, LA NAISSANCE D’UN MYTHE

    « Verdun est la plus grande bataille de toutes les guerres de l’issue de laquelle a dépendu la vie de la France et le sort du monde civilisé » déclare André Maginot en 1922.

    Dès la fin de la guerre, Verdun représente en effet le lieu symbolique de l’affrontement franco-allemand qui a perduré et qui s’est transformé au fil du temps. D’abord lieu du souvenir puis lieu de mémoire, il devient pour les jeunes générations lieu d’histoire et de célébration de la paix. Si les combattants des deux camps ont partagé les mêmes terribles conditions et les mêmes souffrances, comptabilisant entre février et décembre 1916 plus de 300 000 morts dont 163 000 Français et 143 000 Allemands ainsi que plus de 400 000 blessés, peut-on envisager la construction d’une mémoire franco-allemande à Verdun ?

    Cette bataille est la seule de la Grande Guerre au cours de laquelle s’opposent exclusivement les troupes françaises et les troupes allemandes, sur un site loin d’être anodin dans l’histoire des rapports entre les deux pays. Si Verdun est devenu un lieu sacré pour les Français, son importance symbolique restait toute relative avant la bataille. La place forte avait failli être évacuée en septembre 1914 et, l’année suivante, on avait procédé au démantèlement en garnison et en armement des forts de la région fortifiée de Verdun, en application du décret du 5 août 19151. Dès le 25 février, lors de la perte du fort de Douaumont, l’éventualité de la défaite confère à Verdun le statut du mythe du lieu où se décide l’avenir de la France.

    « Verdun ! Verdun ! En ce moment, il ne peut y avoir d’autres pensées. Toutes les âmes, tous les cœurs, sont tendus vers ces champs tragiques » écrit Clémenceau le 13 mars dans L’Homme enchaîné.

    Pour les Allemands, la controverse autour du fameux Mémorandum de Noël du chef de l’état-major, Erich von Falkenhayn, rend encore plus complexe l’analyse de l’objectif réel de l’attaque du 21 février2 :

    « À notre portée, derrière le secteur français, se trouvent des objectifs pour lesquels l’état-major français sera contraint de jeter dans la bataille tous les hommes disponibles. S’il le fait, les armées françaises seront saignées à blanc – que nous atteignions ou pas notre but. S’il ne le fait pas et que nous atteignons nos objectifs, l’effet moral sur la France sera énorme. »

    Ainsi, la thèse de la « saignée à blanc » a été reprise dans la littérature nazie sur Verdun pour relativiser a posteriori l’échec de l’offensive. La mémoire de la bataille, victoire française défensive, s’impose comme l’engagement total et légitime de la défense du sol sacré contre la puissance barbare. La volonté de commémorer la bataille se manifeste dès 1919 par la municipalité de Verdun qui souhaite entretenir la renommée internationale de la « ville héroïque » qui naquit dès les premiers jours de l’assaut des troupes allemandes.

    Verdun ne devint jamais un véritable lieu de mémoire allemand ; ici, leur patrie n’a jamais été défendue : à la différence du soldat français qui défend son sol, le soldat allemand est livré à l’absurdité de la guerre et au sentiment d’abandon tant par son haut commandement que par la nation allemande toute entière.

    Si les mémoires de Verdun en Allemagne et en France diffèrent sur de nombreux points, on peut imaginer, dans une approche nouvelle et dynamique et dans une volonté commune de paix, la constitution d’une mémoire franco-allemande pour développer la compréhension entre les héritiers de ceux qui s’affrontèrent hier.

    « Verdun – pour des générations d’Allemands et de Français, ce mot représenta l’horreur absolue. Verdun, ce fut plus que Stalingrad, Dresde ou Hiroshima. Verdun, c’était la fabrique de mort, dotée d’un appareillage technique et chimique spécialement mis au point en vue de l’anéantissement d’un peuple tout entier3. »

    1 A. Prost et G. Krumeich, Verdun 1916, chapitre VII « Comment Verdun est-il devenu un lieu sacré pour les Français ? » Tallandier, 2015, p.183-208
    2 P. Jankowski, Verdun, chapitre 2 « Verdun vu d’Allemagne », Gallimard, 2013, p. 42-71
    3 K. H. Janssen, Die Mühle von Verdun, journal Die Zeit, 25 février 1966

    1. Discours d’Aristide Briand lors de la ratification des accords de Locarno
      à la Chambre des députés

      26 Février 1926Télécharger le document-PDF
    2. Discours de Gaston Doumergue, Président de la République,
      lors de l’inauguration du Monument à la Victoire et aux soldats de Verdun

      23 Juin 1929Télécharger le document-PDF
    3. Lettre de Victor Schleiter, député-maire de Verdun, adressée au maréchal Pétain
      à l’occasion du 14e anniversaire de la bataille de Verdun

      25 Février 1930 Télécharger le document-PDF
    4. Discours de Gaston Thiébaut, député-maire de Verdun,
      adressé aux anciens chasseurs à pied, cyclistes et alpins à l’occasion
      du 20e anniversaire de la bataille de Verdun

      24 Février 1936Télécharger le document-PDF

      Discours proclamé lors du rassemblement International
      des anciens combattants à Douaumont

      12 juillet 1936 Télécharger le document-PDF

    L’ENTRE-DEUX-GUERRES

    « Pardonne-moi, camarade, comment as-tu pu être mon ennemi ? Si nous jetions ces armes et cet uniforme, tu pourrais être mon frère, tout comme Kat et Albert » À l’ouest rien de nouveau, Erich-Maria Remarque.

    Au début des années 1920, les Allemands qui se rendent sur le champ de bataille sont rares. Le contexte politique (ressentiments nés du traité de Versailles et économique (problèmes monétaires) sont peu propices aux voyages sur les lieux de mémoire de la bataille. Il faut distinguer deux types de visiteurs : d’une part, les touristes désireux de « voir la guerre », de se confronter avec les lieux de la bataille homérique, d’autre part les pèlerins, vétérans et familles de victimes, qui viennent à Verdun retrouver la terre sur laquelle leurs proches sont tombés, les endroits où ils ont combattu et souffert.

    C’est à Esnes, village détruit non loin de la côte 304 et du Mort-Homme, que des jeunes volontaires allemands, anglais, suisses, autrichiens, belges et français (ainsi qu’américains et hongrois selon les sources) ont participé en 1920 au premier chantier de reconstruction international. Initié par Pierre Ceresole, jeune ingénieur suisse pacifiste fondateur du Service Civil International, ce chantier autorisé par le préfet de la Meuse se termina en avril 1921 sous les pressions politiques qui demandaient le départ des jeunes allemands.

    Il faut attendre le début des années 1930 pour que le nombre de visiteurs allemands soit significatif. Ils sont dans l’ensemble bien accueillis, tout comme les Anglais et les Américains. « L’industrie touristique » se développe à Verdun : les hôtels, pensions, restaurants et cafés se multiplient. Les marchands de souvenirs sont nombreux : la maison de confiserie Braquier continue de proposer des obus en chocolat fourrés de dragées, amandes et gadgets, ce qui ne manque pas de choquer un certain nombre de visiteurs allemands.

    Des circuits de visite du champ de bataille sont organisés par des sociétés d’autocars. Le guide Baedeker, équivalent allemand du guide Michelin, fournit toutes les informations nécessaires.

    Si les commémorations et les cérémonies officielles (sans aucune présence allemande) se déroulent dans un premier temps dans la ville même (citadelle souterraine, cimetière du Faubourg Pavé, inauguration du Monument à la Victoire et aux soldats de Verdun en 1929 après neuf ans de travaux), l’Ossuaire de Douaumont inauguré en 1932 devint par la suite le lieu privilégié des pèlerinages.

    Dans ce monument reposent les restes non identifiés d’environ 130 000 combattants français et allemands réunis dans des caveaux recouverts par des tombeaux de granit disposés dans dix-huit alvéoles, alignées le long d’un cloître de 140 mètres de long. Toutefois, ce n’est pas un monument franco-allemand, ce qui surprit et indigna bon de nombres de visiteurs d’outre-Rhin, ainsi qu’en témoignent Maxim Ziese et Hermann Ziese-Beringer :

    « Ici, dans des cercueils, des soldats allemands, des frères allemands gisent [...] avec l’ennemi. Contre cela, il n’y rien à dire, la mort réconcilie ceux qui autrefois étaient ennemis. Mais quelque chose doit être dit contre ce que l’on inscrit dehors. Il est écrit : « Passant, qui que tu sois, entre et salue bien bas les restes des héros qui sont morts pour ton salut. ». […] Si l’on ne sait absolument rien de ces soldats inconnus, dans les caisses, il reste pourtant une certitude : une grande partie des morts qui sont inhumés ici dans la terre peuvent tout autant être des Allemands que des Français, d’après l’endroit où ils ont été trouvés ! Il n’est même pas d’argument imaginable qui permette de nier que dans ces cercueils, beaucoup d’Allemands doivent reposer, sur lesquels on laisse flotter le drapeau tricolore, et que l’on a déclarés soldats français sans hésiter – morts pour le salut de la France ! »

    C’est un espace mémoriel exclusivement français qui s’offre aux Allemands visitant Verdun. Les trente cimetières allemands se trouvent en périphérie, dans un rayon de vingt à vingt-cinq kilomètres autour de la ville. La seule nécropole allemande située dans la zone même du champ de bataille de Verdun est à l’intérieur du fort de Douaumont. C’est une chapelle marquant l’endroit où furent inhumées les 679 victimes de l’explosion d’un dépôt de grenades, le 8 mai 1916.

    Pour les pèlerins allemands de l’entre-deux-guerres, le seul autre monument qui peut représenter une mémoire allemande de la bataille est le monument dit du Lion Blessé, au carrefour de la chapelle Sainte-Fine, qui marque le point extrême atteint par l’offensive allemande en juillet 1916.

    Durant cette période de l’entre-deux-guerres, la seule et unique cérémonie commémorative à laquelle des Allemands furent invités fut le grand rassemblement international des anciens combattants des 12 et 13 juillet 1936. La délégation allemande, dirigée par le colonel Brandt, aux ordres du Chancelier du Reich Adolf Hitler qui souhaitait la naissance d’un mouvement international d’anciens combattants d’extrême droite, se fit remarquer par un salut nazi au pied du monument de la Victoire3 . Voici le compte-rendu du rassemblement que fit l’envoyé spécial de l’agence Havas :

    « Dimanche dans la matinée, des cars dans lesquels avaient pris place d'anciens combattants sont arrivés de toutes les régions de France pour le serment de la paix. Les vastes tentes destinées à loger les pèlerins recouvrent plus de 40 000 mètres carrés. Face à l’est, dominant la Meuse, s’élève une vaste tribune. Dans les premières heures de l'après-midi sont arrivés 550 anciens combattants allemands, accompagnés d’une délégation française qui était allée à leur rencontre à la frontière franco-allemande, puis 300 Anglais, autant de Belges, des Danois, des Portugais, des Yougoslaves, des Tchécoslovaques, des Russes. Le flambeau de Verdun, allumé à l'Arc de Triomphe à Paris, samedi soir, est arrivé au cimetière national, à 18 heures, après avoir été transporté de Bar-le-Duc à Verdun par l’historique Voie sacrée. Le flambeau a été remis à l'un des quatre jeunes soldats immobiles devant le tertre des sept soldats inconnus. Puis une veuve de guerre, une mère, un enfant et un grand blessé ont transmis la flamme symbolique à quatre torches encadrant le monument. Une foule considérable assistait à cette cérémonie. À 20 heures a commencé dans les cantonnements, l’embarquement des pèlerins qui doivent prendre part à la veillée funèbre de Douaumont. »

    Près de 20 000 anciens combattants montèrent à pied au cimetière de Douaumont puis, chacun placé derrière une tombe, observèrent une minute de silence et prononcèrent le serment de paix suivant :

    « Parce que ceux qui reposent ici et ailleurs ne sont entrés dans la paix des morts que pour fonder la paix des vivants. Et parce qu’il nous serait sacrilège d’admettre désormais ce que les morts ont détesté. La paix que nous devons à leur sacrifice nous jurons de la sauvegarder et de la vouloir4 ! »

    Les cérémonies du 13 juillet qui devaient se dérouler sur l’hippodrome de Charny furent annulées en raison du mauvais temps5 .

    Pourtant, moins de quatre ans plus tard, une nouvelle bataille de Verdun s’engageait les 13 et 14 juin 1940. Le 15 juin, les troupes allemandes entraient dans Verdun par la route de Belleville. La ville est vide, la population a été évacuée, les ponts et certains bâtiments militaires ayant été détruits par le Génie. Le rapport officiel de l’armée de Moselle rend compte de la prise de Verdun dans ces termes : « Enfin nous sommes entrés à Verdun, Verdun abreuvé par tant de sang humain, coulé pendant la Grande Guerre […] Le 15 juin, à 9h15, nos troupes ont pris possession des deux rives de la Meuse, soit les forts de Marre et de Douaumont : à 12h30, la croix gammée était hissée sur la citadelle. Verdun était entre nos mains, ainsi que l’armée française6 . »

    C’est la troisième fois en soixante-dix ans que Verdun devient le théâtre des combats acharnés entre soldats allemands et soldats français.

    1 CANINI G., « Verdun : les commémorations municipales 1920-1986 », Historiens et géographes, n°311, 1986
    2 ROY-PRÉVOT J., « Verdun : la mémoire allemande », 14-18 Le magazine de Grande Guerre n°55, p.28
    3 « La commémoration internationale à Verdun : décryptage d'une iconographie symbolique » rubrique « Ereignis », Asnières à Censier, n°4, mai 2014
    4 PROST Antoine, Les anciens combattants et la société française 1914-1939, Tome 1, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P), 1977, p.181, 182,183
    5 Voir article du 14 juillet 1936 du Petit Dauphiné http://www.memoireetactualite.org/presse/38PETITDAUPH/PDF/1936/38PETITDAUPH-19360714-P-0002.pdf
    6 Voir sur le site de la ville de Charny les photos des installations. http://www.charny-sur-meuse.com/historique-du-village/le-serment-de-la-paix/
    7 J. ESTRADA DE TOURNIEL, J. MONTACIÉ, Verdun mémoires de guerres (843-1552-1792-1916-1944-1967), Éditions du Quotidien, 2015, p.205

    1. Lettre écrite en français et adressée par le Kronprinz Wilhelm
      à la veuve du colonel Raynal, commandant du fort de Vaux,
      lors de la mort de celui-ci en janvier 1939

      25 février 1951 Télécharger le document-PDF
    2. Allocution de Monseigneur Petit, évêque de Verdun,
      dans la chapelle de l’ossuaire de Douaumont lors du 36e anniversaire
      de la bataille de Verdun

      25 février 1952Télécharger le document-PDF
    3. Allocution d’André Beauguitte, député de Verdun,
      au pied de la colonne de Montfaucon à l’occasion
      du 44e anniversaire de la bataille de Verdun

      22 février 1960Télécharger le document-PDF
    4. Souvenirs d’un cabaretier de Lemmes qui tenait un café sur la Voie sacrée

      1961 Télécharger le document-PDF
    5. Discours du général de Gaulle devant les officiers de l’École de guerre allemande de Hambourg

      7 septembre 1962Télécharger le document-PDF

    6. Traité de l’Élysée sur la coopération franco-allemande

      22 janvier 1963

      L’intégralité du traité de l’Élysée est consultable sur le site www.france-allemagne.fr/,
      rubriques Historique ; Traités et textes de référence ; Traité de l’Elysée (22 janvier 1963).

    7. Article de presse sur le 49e anniversaire de la bataille de Verdun

      21 février 1965Télécharger le document-PDF

      Discours de Roland Dorgelès, auteur des Croix de bois, au pied du monument de la Victoire à l’occasion du 49e anniversaire de la bataille de Verdun

      20 juin 1965 Télécharger le document-PDF
    8. Article d’Emil Franzel traduit par Jean Tailleur

      Février 1966Télécharger le document-PDF

      Discours du général de Gaulle à l’Ossuaire de Douaumont
      à l’occasion du 50e anniversaire de la bataille de Verdun

      29 mai 1966 Télécharger le document-PDF

      Article du Welt der Arbeit, organe officiel de la Confédération des syndicats allemands (DGB), traduit par Jean Tailleur

      juin 1966 Télécharger le document-PDF
    9. Allocution prononcée par Maurice Genevoix à Douaumont

      13 juin 1976Télécharger le document-PDF
    10. Proclamation rendue publique à l’occasion de la rencontre Mitterrand-Kohl

      22 septembre 1984Télécharger le document-PDF
    11. Discours de François Mitterrand à Douaumont à l’occasion
      du 70e anniversaire de la bataille de Verdun

      15 juin 1986 Télécharger le document-PDF
    12. Déclaration de Javier Perez de Cuellar, secrétaire général des Nations Unies,
      au Palais Épiscopal de Verdun lors du lancement du futur Centre mondial
      de la paix, des libertés et des droits de l’homme

      7 septembre 1988Télécharger le document-PDF
    13. Discours de Jacques Chirac à l’Ossuaire de Douaumont
      prononcé à l’occasion du 90e anniversaire
      de la bataille de Verdun

      25 juin 2006Télécharger le document-PDF
    14. Discours de Serge Barcellini, contrôleur général des armées
      et directeur de la Mission Histoire du conseil général de la Meuse,
      aux Premières assises du tourisme de mémoire au Sénat

      26 mai 2011Télécharger le document-PDF
    15. Discours de Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état
      chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire,
      à l’occasion du lancement de l’opération
      « Verdun et Somme 2016 »

      9 novembre 2015 Télécharger le document-PDF

    LA RENCONTRE MITTERRAND-KOHL DU 22 SEPTEMBRE 1984 : LE GESTE DE VERDUN

    C’est dans un contexte politique particulier que se prépare cette rencontre. Les relations entre Paris et Bonn sont marquées par une volonté de créer une coopération irréversible entre les deux pays. 1984 est l’année de l’annonce de la réalisation d’un hélicoptère de combat en commun, d’une contribution au projet Ariane V et d’une relance de l’Europe de la défense : des manœuvres militaires franco-allemandes sont prévues en septembre. Néanmoins, François Mitterrand avait écarté la présence du Chancelier lors des cérémonies marquant le 40e anniversaire du débarquement allié en Normandie. Le 28 mai, lors du Sommet franco-allemand de Rambouillet, le Président français annonce :

    « Monsieur le Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne et moi-même sommes convenus que nous nous retrouverons pour célébrer nos morts en un lieu qui marque l’histoire. Fin septembre, nous nous inclinerons devant des tombes allemandes et devant des tombes françaises, en particulier à Verdun. Ainsi, l’anniversaire des combats passés et définitivement passés, sera-t-il suivi peu après de cérémonies qui marqueront que nous sommes engagés sans retour dans l’avenir sur la base d’une amitié franco-allemande dont dépendront beaucoup d’autres choses. »

    La rencontre du 22 septembre 1984 est une initiative française mais c’est une cérémonie franco-allemande d’amitié, célébrée conjointement par le Président français et le Chancelier allemand. Aucun discours ne sera prononcé, leur présence l’un à côté de l’autre incarnant à elle seule la réconciliation.

    DÉROULEMENT DE LA JOURNÉE

    La commémoration débuta en début d’après-midi. Le Président et le Chancelier atterrirent à bord de leurs avions respectifs sur la base aérienne de Metz-Frescaty, où ils furent accueillis par les autorités militaires et civiles conviées à la cérémonie. Là, les deux chefs d’État et de Gouvernement se retrouvèrent, accompagnés de leurs deux délégations. Après avoir passé les troupes en revue, les deux hymnes furent joués. Puis, les deux leaders montèrent à bord de l’hélicoptère présidentiel pour se rendre à Consenvoye. Dans ce cimetière militaire allemand où reposent 11 148 corps, le Président et le Chancelier circulèrent entre les croix noires et se recueillirent, seuls au premier plan, devant la dalle commémorative. C’est la première fois qu’un chef d’état français se rend dans une nécropole allemande.

    Deux couronnes furent déposées en mémoire « des Allemands morts durant les guerres ». Les deux hymnes furent de nouveau joués – français puis allemand. Ce fut l’occasion pour le Chancelier de rappeler les circonstances dans lesquelles son père, Hans Kohl, reçut ses galons de lieutenant devant Verdun. L’un et l’autre signèrent ensuite le livre d’or du cimetière. Ils firent étape à Esnes-en-Argonne, village détruit non loin duquel l’adjudant-chef d’artillerie Hans Kohl, père du Chancelier, combattit, et où François Mitterand, alors sergent au 23e régiment d’infanterie coloniale fut blessé le 14 juin 1940 avant d’être fait prisonnier. Les deux hommes d’État reprirent ensuite l’hélicoptère présidentiel direction Douaumont, où ils arrivèrent vers 17h30.

    Après y avoir été accueillis officiellement, ils parcoururent à pied la nécropole nationale de Fleury-devant-Douaumont, où reposent 16 142 soldats français, et déposèrent deux couronnes au pied du mât central, à la mémoire des Français morts durant les guerres. Les hymnes furent joués une nouvelle fois. De là, les deux hommes gagnèrent le vaste ossuaire qui abrite les centaines de milliers d’ossements retrouvés, de soldats allemands ou français, récupérés après la guerre dans la quarantaine de secteurs de combat de Verdun. Ils visitèrent le long cloître ainsi que la petite chapelle. C’est en sortant de l’ossuaire que le Chancelier et le Président se dirigèrent au pied des marches qui mènent à l’édifice où était disposé un catafalque dont le cercueil vide était recouvert des drapeaux français et allemand. Les honneurs furent alors rendus aux morts conjointement par des soldats français et allemands. Les deux hymnes furent de nouveau joués, l’allemand en premier et le français ensuite. C’est à la fin de l’hymne allemand, quelques secondes à peine avant que ne retentissent les notes de la Marseillaise, que l’on vit le Président français se tourner vers son voisin et lui adresser quelques mots. Les deux hommes se rapprochèrent légèrement et se tinrent les mains droite et gauche pendant toute la durée de l’hymne français. L’instant, solennel, fut diffusé en direct à la télévision. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une poignée de main, qui relie habituellement les deux mains droites, mais d’un geste où les deux mains se tiennent. Le rapprochement avec la poignée de main de Montoire (Pétain-Hitler en 1940) que certains caricaturistes ont cru déceler, est donc, y compris sur ce plan, tendancieux. Les hymnes achevés, François Mitterrand et Helmut Kohl allèrent à la rencontre des autorités et des participants qui attendaient derrière eux. Ils saluèrent la foule et s’arrêtèrent pour discuter avec des anciens combattants des deux guerres, français et allemands, réunis à cette l’occasion. Les deux hommes se dirigèrent du côté de l’ouvrage de Thiaumont, où ils plantèrent un érable sycomore en compagnie du Secrétaire général de l’office franco-allemand de la jeunesse, M. Groscolas, l’un des organisateurs de la cérémonie. Quittant alors Douaumont, le Président et le Chancelier allèrent visiter le Mémorial à quelques kilomètres de là puis reprirent finalement l’hélicoptère vers Metz, où ils se séparèrent enfin.

    PORTÉE ET SYMBOLES DU « GESTE DE VERDUN »

    Ce geste de Verdun a souvent été analysé comme l’acte fondateur de la réconciliation franco-allemande. Pourtant, ce n’est pas ainsi qu’il faut l’interpréter. Même si cette cérémonie, au caractère symbolique et solennel, a fortement marqué l’opinion publique en France et en Allemagne et a représenté aux yeux du monde un geste de paix incontournable du XXe siècle, la réconciliation entre les deux pays était une réalité depuis longtemps. En effet, sans remonter au rapprochement Briand-Stresemann à Locarno en 1925, la volonté de Robert Schuman qui, en 1950, par la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), voulait rendre la guerre « matériellement impossible », enclencha le processus de réconciliation.

    La réception du Chancelier Konrad Adenauer par Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises en 1958 puis leur rencontre symbolique en 1961 à Reims, autre ville martyre de la Grande Guerre, fit naître le premier grand couple de dirigeants franco-allemands. Le voyage du général de Gaulle en RFA en 1962 ainsi que la signature du traité de l’Élysée l’année suivante marqueront de façon durable l’union des anciens ennemis dans la perspective de la construction de l’Europe. Le geste de Verdun a scellé la réconciliation franco-allemande, permettant, dans ce haut lieu symbolique de la guerre totale et destructrice, de franchir une nouvelle étape dans la relation entre la France et l’Allemagne, à savoir « l’engagement sans retour des deux peuples sur la voie de la paix, de la raison et de la coopération dans l’amitié ».

    Les deux chefs d’État et de Gouvernement s’exprimèrent plus tard à propos de cette poignée de main historique :

    « Nous n’en avions pas parlé le moins du monde. Mais nous trouvant debout devant le cercueil symbolique qui représentait nos morts sur le champ d’honneur, instinctivement, je me souviens, je me suis tourné vers lui, je lui ai tendu la main. Sa main est venue en même temps. Nous avons scellé la réconciliation franco-allemande de cette façon visible, sensible et croyez-moi profondément ressentie. »

    François Mitterrand, 1992

    « […] Le temps a passé. Les journaux ont jauni. Ceux qui avaient été accusés de folie ont réalisé l’impossible ensemble. Et pourquoi notre barque a-t-elle pu avancer ainsi contre vents et marées ? La réponse, Monsieur le Premier Ministre Pierre Messmer l’a rappelé avec autant de clarté que de vigueur : nos idées-forces étaient la Paix et la Liberté. Et ce sont bien elles qui ont inspiré la poignée de main de Verdun. Le Président Mitterrand en espérait un symbole à portée historique. Sergent de l’armée française, François Mitterrand avait été blessé lors d’une attaque d’avions de combat, puis fait prisonnier à Verdun en 1940, au début du mois de juin.
    Pourquoi ne pas avouer que pour ma part, j’hésitais, tant le nom de Verdun n’a pas la même résonance sacrée dans mon pays. Comme officier, mon père avait participé presque toute une année à cette atroce et interminable bataille. Cependant, en nous tenant par la main devant le mausolée, nous partagions le même sentiment et la même conviction : notre témoignage devait être un message adressé à la postérité représentée par les vingt mille élèves d’écoles françaises et allemandes que nous avions conviés à nous entourer. Leur insouciance et leur gaieté ne nous choquaient pas. Les cérémonies longues et graves ne sont pas de leur âge. Ils ne songeaient guère que toutes ces tombes étaient celles de leurs aînés et de leurs ancêtres.
    Dans leur mémoire, la Grande Guerre appartenait au passé, presque comme les guerres médiques de leur manuel d’histoire. Il n’empêche qu’ils se souviendront un jour de cette poignée de main de Verdun. »

    Helmut Kohl, discours de remerciement de l’ex-Chancelier le 13 juin 2003, à l’occasion de la remise du Grand Prix 2002 de l’Académie des Sciences Morales et Politiques.