La réussite scolaire, à quelles conditions ?
Article mis en ligne le 30 janvier 2008
dernière modification le 19 mars 2009

par Patrice Birbandt
logo imprimer

Bien sûr, lire, écrire, raisonner... sont des apprentissages scolaires car l’école a pour mission de les structurer et de les valider. Mais n’appartiennent-ils qu’à l’école ? Qui pourrait croire qu’un enfant n’apprend à lire qu’à l’école ? Ce bambin qui découvre un album sur les genoux de sa mère, qui recherche la signification d’un panneau routier lors d’un déplacement en voiture, ou qui , dans un supermarché, énonce fièrement la marque d’un paquet de lessive vu à la télé, n’est-il pas en activité de lecture ? Cet autre qui s’est emparé d’une feuille de papier et d’un crayon pour rédiger une lettre au Père Noël, et qui, radieux, présente à ses parents une suite de gribouillis, n’a-t-il pas vécu une situation d’écriture ? Les enfants qui entrent à l’école maternelle ont déjà un “passé d’apprenant”, excessivement pauvre pour certains, déjà riche pour d’autres.

Si nous considérons que l’acte de lecture ne se réduit pas au déchiffrement (à la maîtrise de la combinatoire) mais qu’il englobe de multiples activités cognitives sur de l’écrit (par exemple, pour savoir ce qu’est lire, à quoi sert de lire, que peut-on lire, comment lit-on...), activités essentielles à vivre pour engager dans les meilleures conditions un apprentissage structuré de la lecture au cycle 1 (de la Grande section de maternelle au CE1), alors nous pouvons dire en reprenant les termes des chercheurs précédemment cités que « certains enfants entrent à l’école pour terminer leur apprentissage de la lecture alors que d’autres y arrivent pour le commencer. ».

Les apprentissages de base s’effectuent donc dans des espaces différents : l’espace familial, l’espace scolaire et l’espace environnemental (que sont tous les autres lieux où l’enfant peut être amené à se construire des compétences : des lieux culturels aux lieux d’activités économiques et sociales en passant par les espaces informels comme la bande de copains).

L’école, nous l’avons signalé plus haut, a pour mission essentielle de structurer ces apprentissages de base en les inscrivant dans des domaines ou des disciplines comme le français, les maths, les sciences etc, puis de les valider en les évaluant sous forme de notes ou d’appréciations. Or, chacune de ces activités scolaires s’appuie de fait sur des compétences initiées, diversifiées et prolongées en-dehors d’elle, au sein de la famille et de l’environnement. Lorsque l’école note un devoir d’élève, elle sanctionne les résultats d’une activité réalisée en son sein mais en même temps, elle évalue chaque fois le “travail de la famille et de l’environnement”.

Des compétences qui ne s’acquièrent pas uniquement pendant le temps scolaire

Une autre façon de situer ces apprentissages de base, c’est d’en repérer les différents moments. On pourrait dire qu’on apprend avant d’aller à l’école, depuis sa naissance, dans sa famille et l’environnement (c’est la période pré-scolaire), qu’on apprend à l’école (c’est la période scolaire), qu’on apprend autour du temps scolaire (c’est la période péri-scolaire) et qu’on peut apprendre encore après avoir terminé sa scolarité (c’est la période post-scolaire).

Au cours de ce troisième temps, le temps péri-scolaire, certains enfants sont soutenus, encouragés, engagés dans de multiples activités directement ou indirectement liées à l’école alors que d’autres demeurent livrés à eux-mêmes, sans appuis, incitations, ni aide d’aucune sorte. On connaît bien ces situations de jeunes collégiens qui se retrouvent seuls avec leurs devoirs, sans pouvoir compter sur les adultes proches, pour des raisons d’ordre familial, social et/ou culturel.

Par ailleurs, certains enfants, outre un suivi familial attentif et bienveillant, disposent d’un éventail de possibilités offertes (mais pas gratuitement) par leur environnement pour se construire et développer des compétences diverses en lien étroit avec les apprentissages. D’autres n’ont pas les moyens financiers suffisants pour en profiter quand toutefois ces structures existent dans leur secteur d’habitation.

Les dispositifs d’accompagnement scolaire mis en place dans les quartiers défavorisés tentent alors de pallier ces inégalités en offrant (cette fois-ci gratuitement ou presque) des occasions d’apprendre aux enfants qui ne bénéficient pas des conditions favorables au sein de leur famille.

Des compétences qui ne s’acquièrent pas qu’avec les enseignants

On peut encore analyser la notion d’apprentissage de base en privilégiant cette fois-ci la dimension interpersonnelle. En effet, l’enfant, dans ces différents espaces-temps, « n’apprend pas tout seul ». De nombreuses recherches2 ont montré l’importance des interactions entre adulte et enfant et entre les enfants eux-mêmes dans un processus d’apprentissage.

Encore faut-il que certaines conditions soient remplies pour que se mette en place un véritable « partenariat de connaissance ». La plus importante sans doute étant que l’adulte souhaite véritablement s’investir dans ce rôle. On parle souvent de “métier de parents” lorsqu’on souhaite souligner que le statut de “géniteur “ se distingue de celui “d’éducateur” (faire naître et éduquer n’étant pas synonymes). Il en est de même pour la notion de “partenariat de connaissance”.

Un exemple banal nous permettra de l’illustrer : imaginons une mère (ou un père) de famille s’affairant dans sa cuisine à la préparation d’une tarte aux pommes. Survient l’enfant (peu importe son âge) qui propose sa participation à la réalisation de la recette. En fonction du type de priorité accordée par le parent, l’enfant pourra s’entendre répondre :

« - Vouloir m’aider ? Oh, surtout pas ! je ne tiens pas à ce que tu te salisses et que tu salisses ma cuisine. Tu es trop petit, pas assez habile, etc.... Va jouer ! Je t’appellerai quand la tarte sera prête.

ou bien :

Vouloir m’aider ? Eh, pourquoi pas ? C’est une excellente idée ! Travaillons ensemble. Voilà la fiche. Je te propose d’abord de m’indiquer quels sont les ingrédients à réunir. Nous allons tout préparer puis tu dirigeras les opérations. Je n’interviendrai qu’à ta demande... »

Dans les deux cas, une tarte refroidira lentement en attendant d’être dégustée. Elle aura, sans doute, été préparée avec le maximum de rapidité et d’efficacité dans le premier cas. Dans le second, sa confection, forcément plus longue et hasardeuse, aura permis à l’enfant d’apprendre (à utiliser une recette, à peser, à évaluer, à agir méthodiquement, à casser, battre, verser, mélanger, éplucher, couper... et tant d’autres choses encore ) en interaction avec l’adulte, partenaire de connaissance. Et nous osons prétendre que cette tarte-là, même imparfaite, sera forcément meilleure.

Des compétences qui s’acquièrent dans des espaces-temps complémentaires

A l’école souvent, l’enfant est amené à lire des recettes, à évaluer et convertir des masses ou des capacités, etc... pour réussir des exercices. A la maison, il est amené à manger des tartes sans avoir l’occasion de lire des recettes, évaluer et convertir des masses ou des capacités.

Fort logiquement, on voit apparaître ici un enjeu central de l’accompagnement scolaire : donner du sens aux activités scolaires en les inscrivant dans un projet social. “Pas de fabrication de tarte sans activité de lecture, pas d’activité de lecture sans fabrication de tarte”.

Mais plus généralement, ces trois espaces-temps-réseaux d’apprentissage (famille-école-environnement) peuvent coexister de différentes manières :

- en s’ignorant mutuellement :

Le milieu familial ignore le milieu scolaire.
L’enfant exerce son métier d’élève à l’école. Une fois chez lui, son sac abandonné dans un coin jusqu’au lendemain, il retrouve son statut d’enfant, ses activités de loisirs, ses obligations de fils ou de fille. Personne ne s’intéresse à ce qu’il apprend à l’école. Il s’y rend, c’est l’essentiel. Au mieux, on signe son carnet de notes en commentant éventuellement ses résultats. On espère simplement qu’il réussira sa scolarité.

Le milieu scolaire ignore le milieu familial.
L’élève qui entre à l’école ne doit pas y apporter ses préoccupations d’enfant. Qu’importe qu’il ait perdu son chien dans un accident, il n’a pas fait son devoir de français où il devait décrire son animal favori : il aura donc zéro. Celui-ci, qui n’a pas déjeuné et ressent le coup de pompe de “onze heures”, est un paresseux. Celui-là, qui ne possède aucun ouvrage chez lui et qui n’a pas alimenté sa recherche historique de documents annexes, aura forcément deux points en moins. En classe, tous les élèves sont traités de la même manière. Dans ce cas, on confond égalitarisme et égalité.

Le milieu familial ignore l’environnement.
L’enfant fréquente, à l’initiative de l’école, l’aide aux devoirs organisée par une association. Raison de plus pour ne pas ramener de travail scolaire à la maison.

L’environnement ignore le milieu familial.
Les animateurs s’occupent des enfants, pas des parents. L’essentiel est qu’ils soient inscrits, que les parents sachent qu’ils fréquentent l’association. Pour le reste, chacun chez soi.

L’environnement ignore le milieu scolaire.
“ Ce que les enfants apprennent à l’école, c’est une chose ; d’ailleurs ça ne nous concerne pas. Ce qu’ils font dans l’association, c’est différent. Ils jouent, ils s’occupent...”

Le milieu scolaire ignore l’environnement.
“ Cet enfant participe à un atelier théâtral dans une association. Et alors ? Tant mieux pour lui ! Il aurait aimé présenter la pièce aux élèves de sa classe ? S’il fallait tenir compte de tout ce que font les élèves en dehors de l’école, où irions-nous ? On n’a déjà pas assez de temps pour boucler le programme...”

L’absence de liens entre ces espaces, ce chacun pour soi, contraint l’enfant qui les fréquente tour à tour, à vivre séparément ses expériences et ses apprentissages ; c’est à lui de retrouver, s’il le peut, leur cohérence, de construire leur hypothétique articulation.

- en se dénigrant mutuellement :

Le milieu familial dénigre le milieu scolaire.
“Dans cette école, on apprend mal. L’enseignant n’est pas à la hauteur. Ses méthodes sont inefficaces. Il n’aime pas notre enfant. Il ne nous aime pas. Et c’est réciproque. La bonne méthode pour apprendre à lire, c’est celle qu’on utilisait autrefois. D’ailleurs, nous l’avons dit à notre enfant : ton maître est nul, on va être obligé de t’apprendre à lire nous-mêmes....”

Le milieu scolaire dénigre le milieu familial.
Comme le signalait cet enseignant en évoquant les parents d’un élève en difficultés : “ils se sont mis à deux pour faire un imbécile, ce n’est pas moi tout seul qui vais le rendre intelligent”. Ou bien : “dans ce quartier, ce sont d’abord les parents qu’il faudrait éduquer. A la plupart, il faudrait apprendre qu’un téléviseur est vendu avec un bouton marche-arrêt. C’est dire le travail à accomplir”. Ou encore : “expliquer aux parents comment je travaille en classe ? Mais je n’ai pas à me justifier !”

Le milieu familial dénigre l’environnement.
“Comment ? Tu n’as pas terminé tous tes devoirs à l’association ? L’animateur n’a pas voulu t’aider à faire ton problème de maths ? Mais à quoi servent-ils, ces gens-là ? Ils proposent de l’aide aux devoirs et sont incapables d’en assurer la conduite. “

L’environnement dénigre le milieu familial.
“C’est nous, travailleurs sociaux, qui devons désormais remplacer les parents. Ils ont tous démissionné de leur rôle. Ce n’est même pas la peine d’organiser une réunion d’information : ils ne viendront pas.”

Le milieu scolaire dénigre l’environnement.
“Ces gens-là prétendent aider des enfants dans leur scolarité. Disons plutôt qu’ils cherchent à marcher sur nos plate-bandes, à nous concurrencer. Ne soyons pas étonnés si l’effectif des élèves en étude du soir ait tant diminué. En plus, ce sont des incapables mais comme ils proposent gratuitement leur accompagnement scolaire, impossible de s’aligner.”

L’environnement dénigre le milieu scolaire.
“L’école de la réussite pour tous n’existe pas. C’est toujours la réussite de quelques-uns (toujours les mêmes) au détriment des autres. L’égalité devant l’école est un leurre. Les contenus scolaires (et leurs difficultés d’acquisition) sont des alibis pour justifier la reproduction sociale puisque la langue et les codes culturels de l’école ne sont familiers qu’aux représentants d’une certaine classe sociale. Dans ces conditions, moi, éducateur spécialisé, qui ai connu l’échec scolaire, je comprends que des élèves de milieux défavorisés soient en difficultés. Et lorsque, pendant les séances d’accompagnement scolaire, certains me disent qu’ils s’ennuient à l’école, qu’ils n’aiment pas apprendre, que tous ces devoirs et leçons sont idiots et inutiles, je ne peux m’empêcher de leur donner raison. Et je leur dis qu’il s’agit d’un mauvais moment à passer.”

Au-delà de tous ces exemples volontairement caricaturaux qui recèlent sans doute une part de vérité mais qu’on ne saurait généraliser, il nous paraît utile d’indiquer qu’un enfant, confronté à des discours contradictoires, peut éprouver des difficultés dans ses apprentissages, pour cette seule raison. En effet, qui croire ? que faire ? Le cas de la petite Marie3 , citée par Gérard Chauveau, cette enfant de CP “écartelée” entre deux lieux d’apprentissage (l’école et la famille), et leurs représentants (l’institutrice et la mère) qui s’opposent dans leurs conceptions et leurs démarches, illustre parfaitement ce phénomène dans l’apprentissage de la lecture.

- en se complétant :

On sait bien que la réussite scolaire de nombreux enfants d’enseignants (80% d’entre eux obtiennent le baccalauréat) s’explique surtout par la complémentarité des différents espaces d’apprentissage qu’ils fréquentent, complémentarité qui repose essentiellement sur des valeurs communes, des codes culturels et des langages communs.

Ainsi, les livres, les auteurs proposés à l’école sont souvent présents sur les rayons familiaux ou empruntés régulièrement à la bibliothèque. Les thèmes abordés en classe sont “naturellement” (culturellement) évoqués à la maison, les centres d’intérêt de la famille rejoignent ceux de l’école. L’enfant voyage sur les planètes d’un même univers.

Mais dans la plupart des cas, en particulier dans les Zones d’Education Prioritaire, une distance existe entre ces espaces. Distance culturelle (l’école fonctionne selon des règles, des rites, des codes et des valeurs, avec des outils et des démarches qui ne sont pas forcément ceux des familles ou de l’environnement social). Distance langagière (la langue de l’école avec son lexique, sa syntaxe, ses niveaux et ses fonctions peut être perçue comme une langue étrangère à de nombreux élèves même francophones).

Reconnaître cette distance, c’est d’abord la constater et l’accepter comme un fait social . La refuser conduirait à nourrir l’illusion qu’il existerait un modèle d’élève (un élève-modèle ?) pouvant se construire indépendamment de son milieu social et familial.

Reconnaître cette distance, c’est aussi accepter la diversité des pratiques éducatives en refusant de les juger a priori comme bonnes ou mauvaises. A ce propos, notons les discours contradictoires véhiculés parfois à propos des causes d’échec scolaire d’enfants étrangers ou d’origine étrangère : soit, on s’appuie sur la notion de déficit (il leur manque “de la langue, de la culture..”), soit sur la notion de cumul (ils ont « trop » de langues, de cultures...” puisque deux au moins) .

Reconnaître cette distance, c’est aussi rechercher les moyens de créer des passerelles entre ces espaces. C’est chercher à se connaître pour se reconnaître. De nombreuses études tendent à montrer , par exemple, que la plupart des parents étrangers s’intéressent à la scolarité de leurs enfants et pourtant leur absence manifeste aux réunions d’école est souvent interprétée par les enseignants comme une preuve d’indifférence. Par méconnaissance, on a confondu deux niveaux d’investissement des parents : celui sur l’école et celui sur la scolarité.

Reconnaître cette distance, c’est enfin, pour revenir à la notion d’apprentissage, faire en sorte que s’établissent des liens entre ces espaces-temps-réseaux afin que l’enfant puisse construire une cohérence à partir de ce qu’il fait, vit et apprend dans chacun d’eux. Cette recherche de cohérence est d’autant plus importante qu’elle conditionne la réussite du contenu à apprendre. En effet, la compréhension par l’enfant des situations dans laquelle il apprend - la convergence des différentes aides reçues, le type d’activité dans chacun des lieux, etc...- est aussi importante que la compréhension de ce qu’il apprend. En d’autres termes, pour apprendre à lire, l’enfant doit comprendre la langue écrite (c’est l’objet d’apprentissage) mais aussi comprendre le lien entre ce que disent et font à ce propos toutes les personnes autour de lui (c’est la situation d’apprentissage).

Dans la même rubrique







2008-2023 © Pour PREndre en charge la difficulté à l’école - Tous droits réservés
Site réalisé sous SPIP
avec le squelette ESCAL-V3
Version : 3.85.7