L’existence : une lecture du passage de la Nausée où Sartre prend conscience de la contingence de l’existence
Texte associé : « j’étais tout à l’heure au Jardin public. Donc j’étais tout à l’heure au Jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J’étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j’ai eu cette illumination. (…) l’existence est un fléchissement. Des arbres, des piliers bleus de nuit, le râle heureux d’une fontaine, des odeurs vivantes, de petits brouillards de chaleur qui flottaient dans l’air froid, un homme roux qui digérait sur un banc : toutes ces somnolences, toutes ces digestions prises ensemble offraient un aspect vaguement comique. J’étais là, immobile et glacé, plongé dans une extase horrible. Mais, au sein même de cette extase quelque chose de neuf venait d’apparaître (…) L’essentiel c’est la contingence. Je veux dire que, par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement ; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire. I1 y a des gens, je crois, qui ont compris ça. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or, aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence ; la contingence n’est pas un faux semblant, une apparence qu’on peut dissiper ; c’est l’absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi même. » Sartre, La Nausée
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